De Senaru à Sembalun – La sublime horreur du Rinjani
- Kinou
- 30 nov. 2017
- 8 min de lecture
On est le 28 octobre 2017, ça fait seulement 4 jours qu’on est arrivé en Indonésie, qu’on a laissé derrière nous le Népal. Moins de 120h ce sont donc écoulées depuis Katmandou et déjà nous prévoyons de nous remettre à marcher. Ce 28 octobre, nous réservons donc un taxi pour la ville de Senaru.
Senaru en soi, n’a rien d’exceptionnel. C’est un petit village doté seulement de deux cascades, avouons-le, tout de même très impressionnantes, sous lesquelles on peut tenter de se baigner. Mais ce qui nous intéresse est ce sur quoi ce village s’appuie. Le Mont Rinjani, ou Gunung Rinjani comme on dit ici. Ce volcan, encore actif, est, avec ses 3726m, le deuxième plus haut sommet d’Indonésie. Et nous avons décidé de le vaincre, seuls, sans guide, sans porteur et sans tenir compte des avis des organisateurs de treks qui nous disent tous que seul, c’est impossible à faire. Chacune des personnes à qui on demande son avis nous dit « Non, déjà c’est très dangereux mais surtout c’est interdit, les gardes ne vous laisseront pas passer sans guide ! ». Mais dans leur discours, on sent leur envie de nous faire louer leurs services. Mais, malheureusement pour eux, on sort du Népal et on en a marre d’être entretenus, surveillés et chouchoutés.
La première, et seule, personne à nous dire que c’est tout à fait faisable est le patron du « Sasak Blue Mountain », l’hôtel où nous logeons. Il nous loue même la tente sans laquelle nous n’aurions rien pu entreprendre, et nous prépare nos 24 rations de riz pour les 4 jours (et les 3 nuits) que devrait durer cette petite aventure. Mais, cet homme n’a pas cherché à nous inciter à y aller pour nous prendre notre argent. Son âme est celle d’un vrai indonésien, il cherche simplement à ce qu’on soit heureux et qu’on soit en sécurité. Cela se ressent bien lorsqu’il passera 20 minutes à nous expliquer en détail le parcours que nous devons faire et les embûches auxquelles nous devons nous attendre.

Top c'est parti !
Et nous voilà parti, le 30 à 7h du matin, avec notre tente et toute notre nourriture, pour 4 jours de marche en autonomie totale. Les sacs sont lourds, plus qu’au Népal (merci encore Pasang !), avec tout ça. Heureusement qu’on a pu laisser une partie de notre chargement à l’hôtel. Sans ça, pas sûr que j’y serais arrivé !
La première journée peut se résumer sommairement en deux chiffres :
Altitude à 7h : 630m
Altitude à 15h : 2641m
Une première journée avec un dénivelé positif de 2000m pour se mettre en jambes. Un vrai régal !
A 15h, on est tous les 3 d’accord, les Annapurna c’était une promenade de santé à côté de ça !
Pour se rendre compte de l’effort que c’est, une petite équation s’impose :

Jamais pendant les 16 jours de trek au Népal je n’ai eu une envie aussi forte de poser mes affaires, de manger à m’exploser le ventre et de redescendre, d’arrêter là. Ça peut vous sembler un peu extrême ce que je dis. Vous devez penser que j’écris ces mots pour faire du sensationnel, pour faire mon marseillais, mais non, je vous assure que c’était vraiment toute une épreuve. Le pire ça aura été la dernière partie, quand la terre humide (pourtant peu pratique pour marcher) sera remplacée par un sol sableux couverts de plaques de scories. On n’est pas loin des « Tu montes de deux mètres, tu descends d’un ». Et ce n’est que la première journée. Mais à ce moment-là, je ne me préoccupe pas de ce qui va suivre et je suis simplement content de planter ma tente à 16h sur la caldeira du volcan. En grimpant, je me fais la réflexion que même le Lac Tilicho n’est pas aussi inhospitalier aux marcheurs. Mais quand je vois ce pour quoi j’ai souffert depuis 7h, je ne peux plus penser à autre chose. La vue est incroyable ! Depuis la caldeira, le panorama est magnifique et s’étend à droite et à gauche. D’un côté, il y a une mer de nuages blancs qui viennent se fracasser sur les flancs du volcan. De l’autre, protégé par la barrière que forme la caldeira, je peux observer un ancien et large cratère d’où, magie géologique, un petit volcan émerge. Ce volcan, fumant légèrement, se trouve lui-même à la pointe d’une presqu’ile et se reflète dans les eaux calmes d’un lac bleu. Majoritairement bleu disons plutôt car des inclusions de souffre viennent s’y mélanger et le colorent d’un marron de boue qui progressivement, disparaît en se fondant dans le bleu naturel du lac. Et vu qu’on est au-dessus des nuages, on a le droit à un coucher de soleil magnifique. La tente plantée à deux mètres du précipice, nous profitons des derniers rayons de chaleur en mangeant le paquet de cacahuètes sensé nous durer 3 jours. Puis nous avalons nos portions de riz du soir et nous nous glissons, après cette dure première journée, dans nos duvets.

Première nuit sur la caldeira
En commençant la deuxième journée, l’une des premières choses à laquelle je pense est la suivante : C’est halloween ! Je suis bien mieux ici qu’en France, c’est indéniable. Et puis je n’ai jamais vraiment aimé cette fête.
Je suis tiré de mes pensées par un arbre, écroulé au milieu du chemin, qu’il me faut escalader autant qu’enjamber pour avancer. Cette journée sera moins dure que la première mais nous donnera quand-même du fil à retordre. Au programme, 600 mètres de dénivelé négatif, sur un sentier à mi-chemin entre le chemin de randonnée et la voie d’escalade, jusqu’à atteindre le lac dans le cratère avant de remonter, de faire 700m de dénivelé positif pour atteindre le Camp de Base du Rinjani, 1000m sous le sommet, de l’autre côté de la caldeira. Et ça a été quelque chose d’éprouvant. Heureusement, avant d’attaquer la deuxième partie de la journée, le volcan nous réservait une petite surprise. Le petit cachottier ! Il nous avait caché ses sources d’eau chaude et ses cascades !

Le petit cachottier ! Il voulait pas nous la donner sa cascade hein ?!
Pendant une heure nous nous prélasserons dans une eau jaunâtre et plus que tiède, sous une fine pluie rafraichissante. Face à nous, une cascade de cette eau turbide à la texture huileuse. Nous prendrons pendant cette pause une décision. Cette petite aventure ne se fera pas sur 4 jours et 3 nuits mais sur 3 jours et 2 nuits. Nous décidons de l’abréger un peu. Plus question de refaire le chemin en sens inverse et de retourner à Senaru, mais bien de le faire sur toute sa longueur jusqu’à Sembalun. Et ce pour 3 raisons : la première est que la nourriture a commencé à tourner et qu’on ne pourra tenir avec ça pendant 4 jours. La seconde est qu’ainsi on ne reverra pas les mêmes paysages et qu’on pourra traverser la savane qui rejoint Senaru. Enfin, si on se démerde bien, cela devrait nous faire gagner un jour sur le reste de l’Indonésie et avec ce qu’on a prévu de faire, c’est loin d’être un luxe, croyez-moi !
Du coup, après le bain, à l’heure du repas c’est double ration ! Ça calme un peu nos estomacs même si le goût n’est déjà plus le même. Ça nous donne l’énergie pour attaquer la montée. Cela ressemble encore à de l’escalade mais dans ces conditions, c’est plus dur que de descendre. Plusieurs fois, sous le poids du sac, j’ai failli tomber à la renverse. Un coup d’abdo, une prise rapide et on avance. Le haut du corps fait sa part du boulot mais ça ne soulage pas les jambes pour autant ! Et quand on arrive en haut, une fois de plus on est crevé.
La vue depuis l’autre côté de la caldeira est un peu moins impressionnante, on n’a pas le géant dans le panorama, et le petit volcan est bien moins mystérieux d’ici. Mais ça reste une vue de dingue dont on ne profite pas autant qu’elle le mérite. Demain le départ pour le sommet doit se faire à 2h30 alors on se couche en même temps que le soleil, vers 18h30.

Demain c'est le D-Day !
Dernière journée de l’aventure ! Objectif : le sommet 1000m plus haut. Désolé pour le suspense, je le dis direct, c’était très dur. Plus que le Thorong La, et plus que le Lac Tilicho. Mais là encore nous y sommes arrivés. Ça nous a pris 3h mais on l’a fait. La montée s’est déroulée en 3 parties.
La première, sensée être la plus dure (selon les dires des guides), n’est qu’une montée, dans les scories mouvantes et traîtres. On fait un pas et quand on pose le pied, on se rend compte qu’on a pas avancé, ou pire qu’on a glissé vers le bas. Mais cette partie a l’avantage d’être courte, moins de 40min.
La seconde partie est beaucoup plus tranquille. Déjà, ça monte moins fort, les scories se font plus discrètes et le sol est un substrat dur beaucoup plus agréable à grimper. Mais ces deux parties ne nous font grimper en cumuler que de 490m, soit un peu moins de la moitié qu’on a à faire avant le lever du soleil. Mais ça fait un bon échauffement pour ce qui arrive.
La 3ème partie… Celle qui t’accueille et te cueille quand tu es déjà enfoncé dans la peine. C’est clairement celle-ci la partie dure ! Idiots de guides ! Plus de 500m de dénivelés positifs dans la cendre et les scories. Là pour le coup, tu fais vraiment le mètre en avant qui te fait descendre de deux aussitôt. Mais le pire ce n’est pas ça, ni même le vent qui sur cette crête étroite cherche à te pousser dans le vide et t’oblige à monter un peu à la manière d’un crabe. Non le pire c’est les gens. Tu ne grimpes pas seul ce mont, il y a tous les autres groupes. Tu te retrouves à la queue-leu-leu derrière une femme en legging Nike et basket, qu’il t’est impossible de doubler, qui se traîne. Et impuissant tu vois le ciel petit à petit s’éclaircir. Mais malgré tout ça, comme je l’ai dit, tu arrives au bout. Et tu te retrouves, le 1er novembre 2017, à 6h du matin, au sommet du Mont Rinjani, à prendre la photo avec la pancarte « 3276l Rinjani Family ». Et la vue est incroyable, bien plus belle que ce qu’on a pu voir ces deux derniers jours. Embrasser du regard, la caldeira toute entière, le lac et son volcan est saisissant. Mais ce qui m’a encore plus marqué était de l’autre côté de la caldeira, là où le soleil se lève, là où il éclaire une vraie mer de nuages, 500m plus bas. Le ciel qui s’embrase et met le feu aux nuages est à couper le souffle. On se dépêche de prendre les photos rituelles et on essaye de se trouver un abri. Le froid (on est monté avec la totale, gants, bonnet, coupe-vent…) nous force à nous protéger du vent pour prendre notre (rapide) petit-déjeuner (la montée s’est faite à jeun).

Est-ce qu'on serait pas au sommet d'un volcan ?
Voilà pour l’ascension ! La descente est, elle, beaucoup plus amusante. Anciens adversaires, les scories jouent maintenant le rôle de compagnons de jeu, nous permettant, sans difficulté (et avec un plaisir enfantin) de dévaler les flancs du volcan en glissant. Quand on arrive au Camp de Base, il est 9h du matin et la journée est loin d’être finie. Pour rejoindre Sembalun (Sajan plus exactement), il nous faut encore marcher 6-7h et descendre 1680m. Mais après le Rinjani, tout nous paraît plus simple !
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